Double étonnement, donc plaisir : la découverte d’une nouvelle galerie, entièrement inventée dans un immeuble bourgeois, et celle d’un jeune artiste, que la SNCF héberge depuis quatre ans dans un espace de la gare Paris-Pajol. Pascal Bazilé, né en 1957 à Boulogne-Billancourt, a trouvé là de quoi façonner de fortes et hiératiques sculptures à partir du matériel ferroviaire. Sans jamais céder à la facile mise en scène de «ready-mades», Bazilé traite ces objets de récupération avec la même délicatesse que les sculpteurs africains, patine noire comprise. Comme le dit son préfacier, H.-F. Debailleux : («De l’outil à l’humain, du défini à l’infinitif»), l’acuité du regard, à travers des objets devenus presque méconnaissables, est ici fortement sollicitée. D’avance classiques dans leur modernité, puisqu’elles posent d’autres jalons dans la perspective figurale de Giacometti et du premier Takis, ces sculptures sont présentées devant des peintures sur papiers très ordinaires, complètement métamorphosés par le travail que Bazilé exécute souvent à l’envers et à l’endroit de chaque feuille, ce qui accroît leur pouvoir de signes surgis d’une profondeur évidemment nocturne.
Il s’agit donc d’un artiste qui joue sur la sublimation des choses les plus quelconques, celles qu’on ne regarde et ne «respecte» pas. Mais Bazilé ne se contente pas de les extraire de leur contexte pour les exhiber, sur socle, en galerie. En privilégiant l’esthétisation du matériau, il parvient à se créer un langage qui tient à la fois du dessin dans l’espace (comme Marc Ferroud, mais aussi et de tout autre manière comme la Japonaise Aïko Miyawaki) et du totem sans religion (mais non sans ancêtres), celui d’une énigme – à questionner – puis à interpréter, face-à-face avec la beauté.
Dans quel espace mental cela nous introduit-il ? Celui où les cultures apparemment les plus distantes (étrusque, égyptienne, africaine, occidentale moderne) trouvent, par le biais d’un Occidental, un point d’orgue commun. Il n’est pas indifférent de noter que ces oeuvres sont nées d’un séjour dans une gare et à ses abords : ce fut en effet le cas, à l’origine, des «Signaux» de Takis. Bazilé l’ignorait.
D’une génération à l’autre, l’espace des aiguillages et des caténaires ne cesse de favoriser la perception du lointain jusque dans le plus «tech-nique» des objets utilitaires.
Les rails et les signaux sont devenus les signes d’une sorte de mythologie moderne, et les jeunes artistes consultent, depuis le «musée imaginaire» de Malraux, des albums de photos plutôt que des ouvrages savants.
N’empêche : quand on sort de la galerie de l’Étoile dans la rue Dumont- d’Urville, on se dit que de petits voyages à travers Paris nous réservent la vraie surprise de réveiller la mémoire.
Alain Geoffroy