LE MONDE FANFARE

Suce-mèche, lèche-bielle, casse-plume, pied-fin ou ramougnat :
le vocabulaire ferroviaire ne manque pas d’images pour définir les hommes qui, depuis des lustres, allument les réverbères sur les voies, les mécaniciens bienveillants qui graissent trop leurs machines, les agents de bureau qui s’occupent des agents de manoeuvre ou les tubistes qui surveillent les corps-de-chauffe.
Mais si l’on devait mettre une casquette à Pascal Bazilé, nul doute que celle de brise-rêve lui irait comme un gant. Au sens de ce veilleur de nuit qui allait de cabanon en cabanon pour réveiller les conducteurs de machine.
Debout !

Cet univers, Pascal Bazilé se l’est approprié. Depuis qu’il a élu atelier, il y a quatre ans, à la gare Paris-Pajol, pleine de charge et semi-désaffectée. Car Bazilé procède toujours ainsi : il choisit un lieu, s’y installe et s’imprègne de son éclairage. La voie est ensuite libre qui lui permet alors de faire de cet environnement un point de départ et de ce prétexte un pied-de-biche pour décaler une réalité, la changer de rail et la dérouiller.
Rituel.

Longtemps Bazilé s’est baladé. Il a tutoyé les caténaires et questionné les aiguillages.
Petit à petit, ce «monde fanfare», en correspondance directe aux bruits des voies, s’est révélé.

Ognettes, bouchardes, martelines, rifloirs, gradines, pics-à-pierre ou poinçons-de-choc, tels une grappe de formes somnambules, ont commencé à lui parler. Il les a griffonés, esquisses, assemblés.
Et redressés, ces simples outils ont pris figure humaine. En dessin comme en sculpture.
Qu’importe, c’est le même voyage. Pour Bazilé, en effet, la sculpture n’est qu’un dessin en volume. Et le dessin un espace pour accrocher la lumière. Celle qui dort dans la suie, les noirs, les gris.
Celle qu’il faut mettre au jour. Histoire d’allumer les ombres.

Une lumière éphémère, fragile. A l’image de ces silhouettes, toujours érigées et souvent regroupées comme pour se passer le mot et la main, qui ont souvent l’allure de points d’interrogation et de clefs.
Ici pour poser la question de l’équilibre, là pour ouvrir différents angles de perception et offrir plusieurs versants et versions d’une forme constamment mobile et aussi furtive que la lumière. De l’outil à l’humain, du défini à l’infini.
Voilà pourquoi ces figures semblent de passage. Un passage pensé comme une métamorphose.
Un passage qui d’un quai à l’autre fait changer de rêve.

Henri-François Debailleux